Après la guerre :
dommages collatéraux
Après la guerre
d’Annarita Zambrano



Au milieu des années 80, François Mitterrand déclarait l’amnistie pour les anciens terroristes Italiens d’extrême-gauche réfugiés en France : ceux qui avaient déposé les armes et s’étaient intégrés à la vie civile ne seraient pas extradés. Ce décret a été révoqué en 2002. C’est le point de départ du premier film Annarita Zambrano, qui prend l’affiche à Montréal ce vendredi après un passage à Cannes dans la section Un certain regard.
Après la guerre examine de manière fine les effets de l’engagement politique « extrême » et d’un passé qui passe mal, celui des « années de plomb ». L’expression est tirée d’un film de Margarethe von Trotta sur la Fraction armée rouge. Elle décrit communément deux décennies, les années 70 et 80, marquées dans plusieurs pays européens par la radicalisation et le terrorisme. L’Italie et l’Allemagne furent particulièrement le cadre de violences.
Dans Après la guerre, l’assassinat d’un professeur d’université au début des années 2000 rouvre de vieilles blessures entre l’Italie et la France. L’attentat est revendiqué par un groupuscule radical nommé « Nouvelles forces armées pour la révolution ». Il s’avère qu’autrefois, dans les années 80, une autre organisation portait le même nom. Elle était alors dirigée par Marco qui, accusé d’avoir tué un juge, s’était sauvé en France. Vingt ans plus tard, l’Italie le réclame de nouveau. Marco doit fuir dans l’instant avec sa fille adolescente, Viola. Pendant ce temps à Bologne, la famille de l’ancien terroriste subit pressions et intimidations. Eux aussi doivent vivre avec les conséquences du passé.
Comme ses personnages, le film voyage entre la France et l’Italie. Son développement narratif est lent, précis. Avant de peut-être passer au Nicaragua, Marco et Viola se cachent dans une maison isolée en campagne. Si le père aux allures d’ours mal léché alterne entre peur et colère contenue, la jeune fille, tornade rousse et joueuse de volley, explose de rancune : on l’a déracinée de son milieu sans rien lui demander. Elle n’a que seize ans, rue dans les brancards et ne saisit pas la gravité de la situation. « L’Italie veut ma tête et toi tu veux des jeans » lui dira un Marco désolé. On se rend vite compte que Viola ne connaît pas grand-chose de la trajectoire de son père ni de son pays d’origine. Elle explore alors la maison comme on explore son passé. Mais interroger les crimes de nos parents, c’est forcément poser des questions sans réponse…
Le sujet d’Après la guerre est courageux. C’est un film politique, certes, mais moins qu’on ne pourrait l’imaginer. C’est avant tout un récit de l’intime, où les non-dits, la culpabilité et la filiation occupent une grande place. Sa plus grande qualité est certainement de se confronter à une histoire récente et douloureuse, mais sans perspective historique : comme son titre l’indique, le film s’intéresse à « l’après ». L’après d’une Italie d’il y a trente ans, « inondée d’héroïne » (« Un drogué en plus, c’était un combattant en moins »), où les jeunes militants étaient en guerre contre l’État et contre tout un système gangrené. Un après qui peut parfois paraître tout aussi ingrat et corrompu que l’avant. Les questions morales soulevées sont alors innombrables, et recoupent celles abordées par Thierry de Perretti dans son très beau Une vie violente. Mais l’après, c’est aussi celui de Viola, qui perd tous ses repères et son innocence à l’orée de l’été. Le film est à son image : un peu rigide, subtil, silencieux et mélancolique.
Après la guerre d’Annarita Zambrano prendra l’affiche le vendredi 4 mai au cinéma Beaubien.