Deep End :
illusions perdues
Deep End
de Jerzy Skolimowski



Encore un Polonais dans le Ciné-club de Kino Pravda : après Tadeusz Chmielewski et Andrzej Żuławski, voici donc Jerzy Skolimowski ! Cependant, nous le retrouverons non pas à Varsovie, mais bien à Londres. C’est en effet dans la capitale britannique que le réalisateur rebelle avait posé ses pénates à la fin des années 60, suivant ainsi de près les traces de son compatriote Roman Polanski. Dès ses premiers films jugés très « occidentaux », Skolimowski avait été regardé de haut par le pouvoir communiste. En 1967, il avait déjà réussi l’exploit d’obtenir un visa pour tourner Le Départ en Belgique. Mais la même année, Haut les mains (Ręce do góry), insolente comédie anti-stalinienne, mettait le feu aux poudres et le poussait vers la sortie pour cinq décennies. L’enfant terrible du cinéma polonais irait, comme tant d’autres, tenter sa chance en Amérique. Mais juste avant, c’est dans la capitale britannique qu’il allait imaginer Deep End, une chronique générationnelle délicate et sensible. Le film a connu un certain succès à l’époque avant de tomber dans l’oubli. Maintenant que Skolimowski est de retour chez lui pour y réaliser de petits bijoux formalistes (11 minutes, 2015, malheureusement inédit sous nos cieux), revenons sur ce premier essai anglais qui a su particulièrement bien capter l’air du temps.
Vaste coproduction entre la Pologne, l’Angleterre et l’Allemagne de l’Ouest, Deep End met en vedette John Moulder-Brown et Jane Asher, qui était alors l’amie de cœur de Paul McCartney. C’est le récit désenchanté de la fin d’une adolescence, celle de Mike, 15 ans, qui obtient son premier emploi dans les bains publics d’un quartier populaire. Il y rencontre Susan, la jeune vingtaine, une rousse piquante qui batifole avec plusieurs garçons à la fois. Mike est bien sûr fasciné. Susan le séduit, le provoque, le repousse, l’abandonne… sur papier, c’est une classique éducation sentimentale, avec ses espoirs, ses élans, ses infortunes et ses grandes peines. À l’écran, et grâce au regard racé de Skolimowski, c’est l’évocation nostalgique d’une innocence en suspens. L’adolescence de Mike fout le camp, et avec elle aussi le Swinging London, ses envolées graphiques et ses illusions de liberté. Antonioni (tiens donc, un autre cinéaste étranger) avait si bien su filmer cette effervescence pop dans Blow-up. Mais nous ne sommes pas ici chez les photographes branchés. Il n’y a grand-chose de swinging dans les peintures délavées de la piscine, l’odeur chlorée des produits d’entretien et, surtout, dans les clients glauques à gogo. Mike devra ainsi protéger sa vertu face aux assauts de ménagères impudiques. C’est tout un microcosme que filme Skolimowski, loin des exubérances à la mode qui tendent d’ailleurs déjà à s’essouffler, vaincus par le pouvoir de l’argent et la lutte des classes.
Équivalent sixties du roman d’apprentissage du XIXe siècle parisien, Deep End surprend par ses rôles inversés (le garçon effarouché, la fille libertine). Il émeut par sa peinture tragicomique de la jeunesse et des rapports humains, rappelant le meilleur de la nouvelle vague tchèque. C’est l’anéantissement des fantasmes dans l’univers archicodé des teen movies, et une plongée touchante et cruelle dans le grand bain (Deep End) de la vie. À revoir en duo avec le tout aussi merveilleux Les Amours d’une blonde de Miloš Forman (1965).