Chien de garde :
un diamant dans la boue
Chien de garde
de Sophie Dupuis



C’est précédé d’une excellente rumeur, et après avoir connu les honneurs de la clôture des derniers Rendez-vous Québec Cinéma, que le long-métrage de Sophie Dupuis arrive sur nos écrans dès vendredi. Produit par Étienne Hansez et sa société Bravo Charlie, Chien de garde est un concentré de premières fois. Quel bonheur d’accueillir de nouveaux noms et de nouveaux visages dans la torpeur de notre hiver cinématographique ! Avec sa forme nerveuse, cousue d’intensité et de ferveur, le film est une belle surprise qui compense son récit parfois un peu linéaire par une énergie brûlante.
Chien de garde : le titre décrit à merveille la fonction qu’occupent JP et Vincent pour le « parrain » de leur quartier, leur oncle Danny. Les deux frères battent le pavé, rançonnent et apeurent les commerçants, les trafiquants, les mauvais payeurs. En arpentant les rues clope au bec, les deux petites frappes scandent : « À qui Verdun ? À nous Verdun ! » Dans leur monde interlope, la famille est une notion sacrée. Mais aussi intimes qu’ils soient l’un avec l’autre, JP et Vincent ne pourraient être plus différents. Le premier cache son cœur tendre sous une masse de tatouages; il est follement amoureux de sa copine, Mel, et suit des cours de jour pour devenir électricien. Le second est un gamin turbulent façon feu d’artifice, souffrant sûrement d’un trouble de la personnalité quelconque, ultraviolent mais fragile, si fragile. Tous vivent ensemble chez la mère, Joe, qui alterne entre beuveries et périodes de rémission. La douce Mel rêverait d’une vraie indépendance. JP aussi, peut-être. Mais s’extirper de son clan n’est pas chose aisée.
Certains esprits conventionnels seront étonnés de découvrir que cet univers tendu, fait de violences et de misère sociale, est l’œuvre d’une jeune réalisatrice. Tant pis, ou plutôt tant mieux ! Car ce qu’il y a de plus enthousiasmant dans Chien de garde, c’est peut-être justement la mise en scène de Sophie Dupuis. La caméra est charnelle, tactile, collée-serrée sur les émotions à fleur de peau des personnages. L’image se mue de clairs-obscurs en effets de flou. L’ambiance nocturne rappelle le New York des années 70 et ses films mythiques. À hauteur de macadam, nous parcourons ici un Montréal peu vu à l’écran, entre tavernes borgnes, ruelles grises et parcs délaissés. En prime, nous avons droit à une saisissante scène de WordUp Battle.
Mais ce qu’il y a de plus enthousiasmant dans Chien de garde, ce sont aussi les comédiens. Ils composent une cellule familiale tissée ultra serrée, et dont les intrus sont exclus. La violence s’y perpétue en vase clos. Difficile d’y voir de la lumière, même si la finale remarquable de tension offre à ses héros une possibilité de rédemption… voire même du lyrisme. Le joyau du film est certainement le personnage de Vincent, intarissable, incontrôlable et théâtral; fascinant et effrayant à suivre dans ses tourments. Il est accroché à sa mère comme un marin en dérive à son rocher : « Y’a toute qui va mal dans la vie, mais nous on va ben ! ». Dans ce rôle-cadeau, Théodore Pellerin est une fulgurante découverte. Le comédien semble visiblement beaucoup inspirer nos jeunes cinéastes car il sera à l’affiche de deux autres premières œuvres (Isla Blanca de Jeanne Leblanc et Ailleurs de Samuel Matteau) rien qu’en ce mois de mars. En attendant, courez l’attraper dans Chien de garde.
Le film de Sophie Dupuis sort sur nos écrans ce vendredi 9 mars, au Quartier Latin et au cinéma Beaubien.