Une femme fantastique :
du réalisme poétique
Une Femme fantastique
de Sebastián Lelio



Quelque chose se passe actuellement avec le cinéma chilien, quelque chose de formidable. Le tout repose grandement sur les épaules de Pablo Larraín, cinéaste passionnant à suivre et recordman des mentions sur Kino Pravda (El Club, Neruda, Jackie). Celui-ci occupe maintenant le fauteuil du producteur pour un film qui fait le tour du monde en accumulant les éloges : Une femme fantastique (Una mujer fantástica), cinquième long-métrage de Sebastián Lelio. Autre détail qui vaut son pesant d’or, Larraín se retrouve épaulé à la production par nulle autre que… Maren Ade ! Excusez du peu. Pas étonnant que cette femme soit fantastique.
Si Une femme fantastique fait couler autant d’encre, c’est d’abord à cause de la formidable Daniela Vega, actrice et chanteuse, qui interprète ici le rôle de Marina, une jeune femme trans. Daniela Vega est également trans. Rien que dans l’univers du cinéma, où ces rôles sont plus souvent qu’autrement incarnés par des comédiens-vedettes cisgenres « courageusement » grimés, le fait est de taille. Mais Vega est aussi l’une des premières personnalités publiques chiliennes à affirmer ouvertement son identité. Une petite révolution.
Le film de Sebastián Lelio est tout d’abord une histoire de deuil : celui de Marina qui voit son amoureux Orlando décéder entre ses bras, victime d’une rupture d’anévrisme fulgurante. La jeune femme doit désormais composer avec son âme brisée, les formalités administratives, et surtout la première famille d’Orlando. L’identité de Marina est au cœur de leur haine. Les premières menaces viendront du fils aîné, bientôt assorties d’une série d’humiliations. Les agressions s’accumulent de la part de la police, du personnel médical, et même des services sociaux. Marina se fait appeler « il », se fait demander « son vrai prénom », si elle a eu « l’opération ». Son intimité devient l’affaire de tous. Sa vie sentimentale également, scrutée sous le prisme unique de la perversion.
« Je ne sais pas ce que tu es » lance avec mépris Sonia, l’ex-femme d’Orlando. Orlando, Marina le voit partout, dans la rue, dans les couloirs, en boîte de nuit. Comme chez Jodorowsky, autre grand Chilien adoré, les mondes des vivants et des morts sont ici perméables. La réalité, le fantasme, la pluie, le vent, les éléments déchaînés se font miroir de l’état émotif du personnage. Marina est en lutte, oui, mais son chemin de croix est résolument poétique : ce ton unique éloigne le film du cas social ou du militantisme naturaliste pour le hisser vers l’œuvre d’art. Voici une œuvre subtile, sensible, pénétrante, voire même lyrique, notamment grâce à la voix de Marina qui lui permettra de se réinventer divinement… car elle n’est pas une chimère, mais bien une femme fantastique.
Une femme fantastique prendra l’affiche dès vendredi le 16 février au Forum, au Quartier Latin et au Cinéma du Parc.