L’Insulte :
les mots de la violence
L’Insulte
de Ziad Doueiri



Une nomination à l’Oscar du meilleur film étranger, une première pour le Liban : c’est dire à quel point L’Insulte affiche un très beau parcours. Car malgré ses facilités, son didactisme et ses tics de forme, le film de Ziad Doueiri a beaucoup de mérites. En premier lieu, celui d’exhumer le passé, de creuser le présent et d’espérer un futur différent tout en sonnant vrai.
L’impact d’une affaire personnelle, d’une grande insignifiance pour un œil extérieur, dans un contexte politique explosif : c’est le sujet de L’Insulte. À Beyrouth aujourd’hui, le couple formé de Toni et Shirine opère un garage et attend un premier bébé. Un jour, Toni fait couler de l’eau sur son balcon et sa gouttière de fortune éclabousse les ouvriers de la voirie en dessous. Yasser, le contremaître, redirige ladite gouttière; Toni, furieux, la casse; Yasser l’injure. Ce qui était au départ une simple altercation, assortie d’un malheureux « sale con », va entraîner une escalade hors du commun. Toni exige des excuses et Yasser, obstinément, les lui refuse. Le tout s’embrouille encore avec des discours haineux puis une agression physique. Car Toni est chrétien et Yasser, palestinien; leur conflit fait office de poudrière. Prison, procès, cour d’appel, émeutes, attentats… l’insulte ira loin.
Ziad Doueiri a voyagé, étudié et travaillé à travers le monde. Après deux premiers essais plus intimes, il a commencé à tâter du politique avec L’Attentat (2012), adaptation du célèbre roman de Yasmina Khadra, dont le tournage en Israël lui a valu un certain anathème dans son pays. Car tout est ultrasensible dans cette région du monde et bien malin sera celui qui prétend tout saisir, tout maîtriser. Jamais je ne m’aventurerai dans ce chemin. Contentons-nous de prendre le film tel qu’il est, avec ses qualités et ses défauts. L’Insulte est pour une bonne part un film de procès, un genre assez balisé, qui introduit généralement de grands moments poignants. Il évoque également le cinéma politique à la seventies, parsemé de coups de théâtre ahurissants et rythmé comme un suspense hollywoodien. Ses ficelles parfois grosses appuient encore l’effet rétro – Z de Costa-Gavras, ce n’était pas le comble de la subtilité non plus. Et pourtant, le scénario fait un effort constant pour exposer la pluralité des points de vue et des souffrances. Chrétiens et Palestiniens ont subi le calvaire de multiples conflits, tous ont perdu des proches, ont été réfugiés, ont vécu brimades, racisme et intolérances. Pour tous, la justice semble corrompue et partiale. Et le film montre bien comment une affaire telle que celle de Toni et Yasser peut être reprise par des individus sans scrupules qui ne souhaitent que l’instrumentaliser à leurs propres fins.
Évidemment, la matière historique et théorique est ici très chargée. La démonstration en est claire, et plutôt schématique : alternance de scènes dans les deux clans, opposition des deux avocats (père et fille !), multiplication des zones d’ombre et de compassion de tous côtés. Le message est limpide. Il n’y a aucune vérité absolue, aucun gagnant, aucun perdant, seulement des êtres humains qui n’arrivent pas à vivre ensemble. Un personnage mentionnera ainsi que le Liban n’a jamais effectué sa réconciliation nationale. Est-il possible de tourner la page de l’histoire pour enfin « résoudre les conflits dans le respect, et que les excuses ne soient pas vues comme une forme de faiblesse, mais une forme de civilité » ? Certains diront que les grands sentiments ne font pas le grand cinéma, certes, mais les intentions de Ziad Doueiri sont des plus honorables, et son succès international le prouve de belle manière.
L’Insulte est présentement à l’affiche au Cinéma du Parc, au Quartier latin et au Forum.