La Troisième partie de la nuit :
la fièvre
La Troisième partie de la nuit



Ce froid mois de janvier semble le décor idéal pour rouvrir le Ciné-Club de Kino Pravda ! Rien cependant pour vous réchauffer puisque l’œuvre choisie se déroule dans une Pologne glacée – et par la météo, et par l’histoire. Début 2016, le décès d’Andrzej Żuławski m’avait amenée à me replonger dans sa filmographie tapageuse. Au-delà des grands classiques que sont L’Important c’est d’aimer (1975) et Possession (1981), je vous recommande maintenant de (re)découvrir une proposition plus obscure, la première de ce créateur hors normes qui, comme tant de ces compatriotes, a connu une carrière troublée par la censure et l’exil.
Né en 1940 à Lwów, Żuławski a étudié la philosophie et les sciences politiques en France avant de devenir l’assistant d’Andrzej Wajda. C’est en 1971 qu’il réalise son premier film, La Troisième partie de la nuit (Trzecia część nocy), qui promeut d’emblée sa signature singulière. La Pologne communiste ne lui permettra de ne faire qu’un autre film entre ses murs, le sulfureux Diable (Diabeł, 1972), avant de lui montrer la sortie. Après un beau succès français, il tentera le retour au bercail en 1976 pour l’aventure catastrophique (et inachevée) de Sur le globe d’argent (Na srebrnym globie), avant de s’établir définitivement à Varsovie dans les années 90. Voilà pour les allers-retours typiques du temps et du lieu pour l’artiste polonais lambda. Ce qui est typique également chez Żuławski, c’est le spectre de la Seconde Guerre mondiale et de ses destructions multiples. Voici donc La Troisième partie de la nuit, un voyage au pays de l’horreur.
En pleine occupation nazie, Michal, le héros, voit sa famille massacrée sous ses yeux. Il quitte alors la campagne pour une ville exsangue, engourdie par le froid et les privations, et intègre la Résistance. Dans un immeuble en ruines, il rencontre Helena. La jeune femme ressemble trait pour trait à son épouse défunte. Michal est employé par un laboratoire de vaccins clandestin où il nourrit les poux de son propre sang. Il évolue dans un monde fumeux peuplé de fantômes. Quel est le vrai, quel est le faux, quel est le délire?
Le film n’est pas pour les esprits timorés, ni pour ceux qui aiment tout maîtriser. Dès les premiers instants, Żuławski installe une ambiance mystérieuse et anxiogène, qui vire très rapidement au cauchemar ultraviolent. C’est une expérience unique de la vie en temps de guerre : une angoisse permanente, un dénuement total, l’impression paralysante d’échapper à toute cohérence. Le récit éclaté entremêle constamment passé et présent, réalité et chimères, et se complexifie jusqu’à en devenir labyrinthique. Ses enchaînements sont basés sur les sensations et les effets frappants davantage que sur la logique simple. À l’avenant, la forme introduit de futurs classiques zulawskiens. Clairs-obscurs expressifs, contre-plongées à répétition et des scènes-choc (tel cet accouchement ultraréaliste) s’empilent pour créer un univers toujours à la limite du tangible. Impossible d’oublier les cartouches de poux que le héros s’attache au corps, causant ecchymoses et fièvres exaltées! La Troisième partie de la nuit est un objet rare : à la fois film historique et drame psychologique fantastique, voire vrai film d’horreur, son pouvoir de fascination demeure intact.