Destierros :
la longue marche
Destierros
d’Hubert Caron-Guay



Il y a de ces œuvres branchées sur le réel, parfaitement alignées sur l’actualité et les tourments du monde. Quelques semaines avant la sortie en salles du Vénérable W. de Barbet Schroeder, voici un film d’ici qui a eu les honneurs des derniers RIDM.
Destierros d’Hubert Caron-Guay s’ouvre sur une filature en forêt, en pleine obscurité. La caméra colle à la peau et à la réalité quotidienne d’hommes et de femmes qui naviguent à vue dans le noir. Ce sont des migrants. Dans L’Héroïque lande, la frontière brûle de Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval, vu cet automne au Festival du Nouveau Cinéma, ils arrivaient d’Afrique ou du Moyen-Orient et croupissaient dans la jungle de Calais en rêvant des rivages britanniques. Ici, ils viennent du Honduras, du Belize, du Guatemala, du Nicaragua, du El Salvador et d’ailleurs; au grand dam de Donald Trump, ils tentent le tout pour le tout afin de passer la frontière américaine. Ils fuient la pauvreté, la violence, les vendettas familiales ou régionales, les discriminations sexuelles, la corruption galopante et la dictature. Ils se sont remis entre les mains de Dieu en quittant leurs pays et leurs foyers. Destierros : « les exilés » ou, encore plus grave, « les bannis ». Harcelés par les agents d’immigration ou englués dans des demandes d’asile qui n’aboutissent pas, certains ont été arrêtés et déportés plus de dix fois. En attendant la prochaine occasion de fuir, ils trouvent refuge dans des camps de transition.
Si la faune est surtout masculine, la parole des femmes occupe une place capitale. La sincérité bouleversante des témoignages est accentuée par un parti pris formel simplissime mais superbe : des visages à peine éclairés surgissant du noir, singularisés comme des icônes. Absent à l’écran, le documentariste partage avec ses sujets une proximité étouffante, son regard littéralement suspendu à leurs nuques. On ne suit pas une figure en particulier, car comme le dira éloquemment une jeune femme, « nous sommes tous des êtres humains, nous avons tous la même valeur ». Une valeur bien souvent foulée aux pieds du capitalisme et de la xénophobie.
Destierros est un film de nuit. À la merci des trains en route vers le nord auxquels ils s’accrochent, les voyageurs illicites évitent la lumière. Les bruits de ferraille de ces mêmes trains composent une bande-son industrielle dévorante, tandis que leurs toits donnent naissance à des images contemplatives et majestueuses… avant de retomber bien vite dans la moiteur de l’obscurité, et de l’attente. Un migrant particulièrement lucide pointera la brutalité des officiels Mexicains, et l’importance du cheap labor dans l’économie américaine. Le film a été réalisé avant l’élection de Trump — l’on peut aisément affirmer que la situation ne s’est pas améliorée depuis. Et sa conclusion est à la fois sombre et étrangement poétique : « D’où je suis, je peux voir les États-Unis. Je peux les voir d’où je suis, mais traverser, c’est difficile. Avec l’aide de Dieu, j’espère y arriver ».
Destierros prendra l’affiche à Montréal à la Cinémathèque québecoise et au Cinéma du Parc le vendredi 19 janvier.