RIDM – Caniba et Rat Film :
hantises
Caniba
de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor



Les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal (RIDM) ont pris fin hier, et j’ai moi-même vu deux films de plus samedi dernier. Débutons sans plus attendre avec le cauchemardesque Caniba, la nouvelle œuvre de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor. Si A Modern Man n’était pas le freak show prévu, celui-ci remplit parfaitement bien le mandat! Le duo de réalisateurs derrière le très célébré Leviathan (à ne pas confondre avec celui d’Andreï Zviaguintsev) s’intéresse ici à Issei Sagawa aka « le Japonais cannibale », tristement reconnu pour avoir abattu, dépecé et mangé une collègue de classe lorsqu’il était étudiant en littérature comparée à Paris au début des années 80. Un fait divers glaçant, d’autant plus lorsqu’on sait que Sagawa, qui a bénéficié d’un non-lieu juridique pour cause de démence, est retourné au Japon et a vécu de sa « célébrité » à travers publicités, bandes dessinées, télé-réalité et… films pornographiques! Aujourd’hui à moitié paralysé, le criminel est veillé par son frère, un être tout aussi dérangé que lui, et revient constamment sur son fantasme, le cannibalisme, « une extension de ses désirs sexuels ». Enfermés dans un minuscule appartement, les réalisateurs filment leurs protagonistes dans de vertigineux gros plans jouant sans cesse sur les flous, à la limite du lisible — belle métaphore pour un sujet insaisissable. Très radical, Caniba flirte de près avec l’expérimental. Il est aussi chapeauté de l’avertissement « pour public averti » et on comprend bien pourquoi, tant la forme et le propos nous poussent à la nausée. Bruits de déglutition sur fond noir, terribles illustrations de manga, séances de sadomasochisme, tout nous sera infligé dans ce documentaire d’observation extrême. Comment un tel film, où la caméra est littéralement à deux centimètres de visages et de bouches débitant des horreurs, peut-il se faire? Pourtant, pas d’accusation de complaisance à l’encontre des réalisateurs ici : leur démarche est monacale et non démonstrative. Tout simplement, l’objet cinématographique qui a fait fuir plusieurs spectateurs hors de la salle est extrêmement perturbant. Bon appétit!
Rat Film
de Theo Anthony



Si le film suivant jouait dans les plates-bandes des peurs de certains, il était tout de même beaucoup, beaucoup plus léger. Rat Film, premier long-métrage de Theo Anthony, piste les rongeurs mal-aimés dans leur milieu de vie naturel, les ruelles, les arrière-cours et les poubelles, particulièrement celles de la ville de Baltimore. Toujours aussi flippante et décalée, la cité de John Waters! Rat Film associe son humour absurde à une voix off anthropologique pour nous raconter comment la lutte contre le rat fut (et est encore) un instrument de ségrégation sociale et raciale. Culturellement considéré comme nuisible, le petit animal est un accessoire de laboratoire idéal et n’attire aucune sympathie de la part du public. Des scientifiques aux motivations douteuses aux chasseurs complètement hystériques, nous suivons ainsi plusieurs personnages d’hier et d’aujourd’hui. Le film est historique, rempli d’archives frappantes, mais il est aussi une réflexion engagée sur l’urbanisme et ses mécanismes et ose même faire un crochet par la science-fiction métaphysique. Des genres et des thèmes qui ne sont certes pas toujours bien amarrés les uns aux autres, mais qui composent un fouillis à la fois intéressant et divertissant.