FNC : les Nouveaux
alchimistes
Le Festival du Nouveau Cinéma étant terminé, c’est maintenant le temps des bilans. Et avant mon post-mortem général, il me fait plaisir de vous faire un retour détaillé sur la section pour laquelle j’ai eu le bonheur d’être jurée, les Nouveaux alchimistes. Expérimentation, transformation, ravissement : c’est le motto de cette branche de la programmation que plusieurs perçoivent comme la collection de films expérimentaux du FNC. Certes, mais pas que. Depuis deux ans, l’Association québécoise des critiques de cinéma (AQCC) sélectionne trois délégués qui seront chargés de remettre un prix récompensant un film de la section. Cette année, c’est moi-même, accompagnée de mes collègues Maxime Labrecque et Sylvain Lavallée, qui ai eu le plaisir de visionner les quatorze longs-métrages, puis de débattre et enfin de désigner le vainqueur.
Les Nouveaux alchimistes sont éclectiques par définition. Documentaires, fictions, bavards ou bien muets, de grande ampleur ou très resserrés, les quatorze films nous en ont fait voir de toutes les couleurs, avec une certaine constante : le thème de la migration, du voyage, de la mutation. Passons sur quelques faux pas pour se concentrer sur le meilleur.
Débutons par le rayon des propositions plus classiques et sobres. La Nuit où j’ai nagé de Damien Manivel et Kohei Igarashi est une jolie escapade sans paroles, où le spectateur est invité à suivre pas à pas un petit garçon, parti rejoindre son père dans un stupéfiant Japon enneigé. Quant à Sea to Shining Sea de Maximón Monihan, c’est une vraie de vraie comédie, le prototype du « film de Sundance », buddy movie indépendant plein de charme et d’esprit. Beaucoup plus grave est l’immense proposition de Nicolas Klotz et de sa complice Élisabeth Perceval, éminents documentaristes, qui plongent tête baissée dans la jungle de Calais avec L’Héroïque lande, la frontière brûle. Un film monumental (225 minutes), saturé de témoignages et d’images folles, qui capte l’actualité en mode cinéma-vérité.
Ensuite, voyons du côté de l’expérimentation, car c’est tout de même pour ça que nous sommes là ! Bien que le résultat soit très imparfait, autant du côté de l’interprétation que du scénario inutilement complexe, j’ai apprécié la tentative de science-fiction minimaliste de Black Hollow Cage de l’espagnol Sadrac González-Perellón, et plus particulièrement son décor hallucinant – une maison ultradesign toute en verre et métal corrodé, un genre de Fallingwater sur l’acide. Avec How We Live, le vétéran autrichien Gustav Deutsch nous a proposé de rencontrer des dizaines de personnalités à travers des films de famille : une illustration patente et émouvante de la constante migration des êtres. Finalement, dans Rey, Niles Attalah relate un épisode méconnu et fantasmé de l’histoire du Chili, celui de l’avocat français Antoine de Tounens qui, en 1860, s’était autoproclamé souverain d’Araucanie et de Patagonie. Masques, créatures, pellicule grattée, répétitions, surexpositions : voici un beau délire formaliste qui vous happe totalement.
Les Garçons Sauvages



Mais tout cela ne serait pas complet sans le grand gagnant, celui qui s’est imposé d’emblée par son sujet tout comme son traitement formel. Expérimentation, transformation, ravissement : le français Bertrand Mandico semble avoir pris au mot la devise des Nouveaux alchimistes pour nous offrir Les Garçons sauvages, un film profondément créatif, dépaysant et tout à fait jouissif. Dans cette odyssée queer, cinq jeunes rebelles de bonne famille sont abandonnés à un marin sadique qui les emmène sur une île mystérieuse, sensuelle, chavirante. Ils n’en sortiront pas indemnes. C’est le premier long-métrage de Mandico, qui a par ailleurs réalisé plusieurs courts ainsi qu’une pléthore de projets underground multiformes. Il met en scène la fascinante Elina Löwensohn, une figure culte et cette année la reine du festival avec trois films, dont Mon ange. Il mêle couleurs (pour les rêves), noir et blanc (pour la « réalité »), érotisme, décalages et fantastique et, surtout, il rend un hommage puissant aux chimères sur pellicule des années 20. Dans la lignée de Man Ray et Jean Cocteau, Bertrand Mandico est clairement un nouvel alchimiste. Nous avons donc remis le prix AQCC du FNC 2017 aux Garçons sauvages pour « sa luxuriance visuelle, son envoûtant voyage initiatique et pour sa réactualisation du surréalisme ». Champagne !