FNC jour 6 :
à la découverte de l’« autre »
Mon mardi 10 octobre au FNC a été consacré à des voyages en Europe, celle « d’en haut » et celle « d’en bas », comme diraient certains politiques. Une fois de plus, un gros nom et une découverte. Deux films extrêmement intéressants qui prouvent qu’entre rustres et gens raffinés, il y a des salauds à tous les étages – évidemment.
Western
de Valeska Grisebach



L’année dernière, Maren Ade faisait sensation avec son fameux Toni Erdman, qui créa une ruée assez stupéfiante dans les salles du FNC et repartit en toute logique avec la Louve d’or. Cette année, elle est un peu de retour, comme productrice cette fois, avec Western, le second long-métrage d’une autre réalisatrice de cette « nouvelle vague » allemande, Valeska Grisebach. Pas étonnant que l’une se soit intéressée à l’autre, car elles partagent le même style de sensibilité esthétique et narrative, marqué du sceau d’une très grande subtilité. La terre à défricher du « western » est ici la campagne bulgare, investie par des ouvriers allemands venus y construire une usine d’épuration d’eau. Ils sont toute une bande, brute de décoffrage, pas toujours très intelligente. Bière, cigarettes, blagues sexistes et grosses machines composent cet univers viril au possible. Arrivés en conquérants, les ouvriers plantent leur drapeau et méprisent d’emblée les locaux, qui ne les regardent pas d’un très bon œil non plus. Délocalisation & exploitation – un sujet brûlant déjà traité par Toni Erdman. Dans Western également, les rapports de pouvoir se nichent dans les petites choses, les petits gestes, et dans des conversations de sourds où se mêlent humour et tension. Les Allemands travaillent aussi dans de mauvaises conditions, sans eau potable, ce qui va d’ailleurs cristalliser le drame. Quant au héros, Meinhard, c’est un homme taciturne et solitaire que rien ne le retient dans son pays. Il entrevoit une possibilité de s’intégrer dans la petite communauté bulgare rurale, dans laquelle il croira trouver des amis sincères. Après le western roumain de l’an dernier (Dogs), voici donc le western bulgaro-teuton, qui perd en règlements de compte ce qu’il gagne en finesse d’observation.
The Square
de Ruben Östlund



Le soir même, place à un gros morceau et à une salle comble pour la Palme d’or de Cannes, rien de moins ! C’est justement le FNC qui m’a fait découvrir le cinéma du Suédois Ruben Östlund, encore très confidentiel avec Play, puis explosant à la face du monde avec Force majeure. Je craignais qu’il n’ait succombé à la grosse production en anglais avec The Square – heureusement, il n’en est rien. Nous sommes bel et bien à Stockholm, dans les cercles huppés de l’art contemporain, où nous suivons Christian, cliché vivant de sa classe et de son standing. Ce conservateur de musée qui ne cache pas grand-chose derrière son écran de fumisterie prépare une nouvelle installation, « The Square » : simple carré sur le sol en termes physiques, espace d’aide, d’égalité et de confiance au figuré. Un événement banal (le vol de son téléphone portable) entraînera une série de perturbations dans son existence, telles de belles rayures sur la carrosserie de sa Tesla. Ruben Östlund n’a qu’un ennemi : le politically correct. Il l’avait déjà prouvé avec son analyse sur le couple et la famille mi audacieuse, mi atrocement conservatrice de Force majeure. Il applique ici sa recette au milieu parfois abscons de l’art et au concept général d’entraide, et le résultat est complètement jouissif. On rit vraiment beaucoup devant The Square, et à gorge déployée, ce qui est plutôt rare pour Cannes! Avec son esprit punk, le réalisateur excelle dans les malaises (qu’il fait durer, durer… !) et nous offre une vraie scène d’anthologie avec son dîner mondain où la performance investit la vie réelle jusqu’au vertige. Par contre, pour la critique sociale ou les relations humaines, on repassera. Le « message » du récit est au ras les pâquerettes, voire même balourd et très certainement poseur, ce qui en a déjà agacé plusieurs. Comme son héros, Östlund a beaucoup de style; il faudrait juste voir à ce que cela ne devienne pas le style de tout le monde.
Western était présenté en compétition internationale au FNC.
The Square sortira assurément en salles régulières, avant l’année prochaine on l’espère.