FNC jour 3 :
secrets et délivrances
La couverture du FNC se poursuit sur Kino Pravda! Ne cherchez pas le jour 2 (vendredi 6 octobre), il manque bel et bien à l’appel, car il fut consacré à des projections des Nouveaux alchimistes et, secret de jury oblige, je ne peux en parler avant les grandes délibérations de la semaine prochaine. Hier par contre, mon exploration des autres sections s’est poursuivie avec deux films — le tout après la traditionnelle visite familiale aux P’tits loups, les projections jeunesse du FNC.
Téhéran Tabou
d’Ali Soozandeh



Le premier de ces deux arrêts du samedi était une proposition pour le moins surprenante : une animation « pour adultes » hyperrréaliste sur l’existence souterraine des Iraniens. Tout le programme de Téhéran Tabou tient ainsi dans son titre. Le choix de l’animation aurait été une fenêtre de liberté pour le réalisateur Ali Soozandeh, qui vit et travaille maintenant en Allemagne (on le comprend). Son film est passé par la Semaine de la critique de Cannes et par Annecy, sans surprise, puisque les œuvres de cette facture sont plus que rares. À part l’évident Valse avec Bachir d’Ari Folman (2008), je ne me rappelle pas de proposition semblable. Le récit choral de Soozandeh suit quant à lui une poignée de personnages dans la fièvre étouffante de Téhéran : une prostituée au grand cœur qui voudrait obtenir le divorce de son mari toxicomane; une épouse intello qui aimerait tant pouvoir s’échapper de sa prison domestique; un étudiant en musique, pressé de trouver l’argent pour payer l’opération de reconstruction d’hymen à son amante d’un soir; une jeune fille pauvre qui pense pouvoir faire une fortune de son corps vierge. Au milieu de toutes ces figures aux abois, un petit garçon muet, qui voit et entend tout, à la fois témoin, observateur et confident. Par un magnifique coup de crayon tout en ombres, Téhéran Tabou nous donne à voir ce qui n’est évidemment pas filmable : la ville interlope sous la chappe de plomb religieuse. Sexe, drogue, discothèque électro, avortements, clandestins, trafics en tous genres se dévoilent un par un. Pour les personnages, le passage chez le photographe rythme le film et scelle les destinées. Le message est plus que corrosif : dans cette société étouffée par les interdits, tout se trouve, tout se monnaie, et la valeur d’une femme est avant tout sexuelle. Étonnamment, le ton n’est pas uniformément grave… sauf que la conclusion, elle, est déchirante.

La Petite fille qui aimait trop les allumettes
de Simon Lavoie


Le soir même, Simon Lavoie présentait son tout nouveau film dans une salle remplie de ses acteurs et techniciens. Un an à peine après Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, voici donc l’adaptation — libre — d’un grand roman, celui de Gaétan Soucy, catapulté classique instantané lors de sa sortie en 1998. Étant une fervente admiratrice et de l’œuvre littéraire et de Lavoie, mes attentes étaient très hautes pour La Petite fille qui aimait trop les allumettes. Elles ont été comblées par un film audacieux qui, je le répète, est une adaptation libre. Le roman affichait deux constituantes incontournables : les surprises, nombreuses et chavirantes, et la langue de Soucy, aussi créative qu’alambiquée. Chez Lavoie, les surprises ne sont pas les mêmes (pouvoir de l’image oblige) et la langue est presque évacuée. À un récit très bavard, écrit à la première personne sous forme de journal intime, il oppose des ambiances, des atmosphères et des silences. Dans un immense manoir en ruines, deux adolescents élevés en autarcie, dans la crainte fanatique de Dieu, doivent reconsidérer leur réalité lorsque leur père tout-puissant meurt. La découverte du monde extérieur s’accompagnera de révélations terribles. Avec son univers à la fois pervers et élégiaque, La Petite fille qui aimait trop les allumettes est presque un film fantastique, magnifié qui plus est par le noir et blanc virtuose du directeur photo Nicolas Canniccioni. La forme est expressive à l’extrême, voire même grotesque (utilisation de l’objectif fisheye), et Simon Lavoie ose la représentation graphique de concepts très perturbants. C’est très dur et très, très beau, et la débutante Marine Johnson crève littéralement l’écran.
Les deux représentations de Téhéran Tabou au FNC ont malheureusement déjà eu lieu, mais vous pourrez revoir La Petite fille qui aimait trop les allumettes vendredi prochain le 13 octobre à 13h00 au Cinéma du Parc. Le film prendra par la suite l’affiche en salles régulières cette automne.