La Communauté :
Anna, Erik, FreJa et les autres
La Communauté
de Thomas Vinterberg



Depuis que je m’active dans le milieu du cinéma, j’ai rarement vu un mouvement exaltant autant les passions que Dogme95. Visiblement, qu’une poignée de cinéastes danois se soulève contre Hollywood à grands coups de caméra à l’épaule, de son intradiégétique et de création collective trouble et fascine les foules. Le manifeste du mouvement avait été à l’époque signé par Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Et si le premier avait déjà une carrière consistante derrière lui, le second était un pur débutant, qui allait exploser sur la scène internationale en 1998 avec Festen. Depuis, Dogme95 a fait long feu, mais pas les films de Thomas Vinterberg, qui a poursuivi sa route en assouplissant les règles originelles, sans toutefois les renier totalement. Le résultat est toujours intéressant et parfois carrément magistral, comme dans le cas de La Chasse en 2012. Voici maintenant son nouvel opus, La Communauté (Kollektivet) : peut-être moins percutant, mais néanmoins singulier.
Vinterberg adapte ici sa propre pièce de théâtre, elle-même inspirée de son enfance. Nous sommes dans les années 70. Erik, professeur d’architecture à Copenhague, hérite d’une immense propriété dans un quartier huppé. La maison est hors de prix, il n’en veut pas. Sa femme Anna, journaliste à la télévision, insiste pour l’habiter en groupe avec des amis de longue date, de simples connaissances, et même de parfaits inconnus recrutés au hasard. C’est l’utopie sociétale de la vie en communauté, typique de l’époque, à grands coups de votes sur les tours de vaisselle, de littérature gauchiste, de litres de vin engloutis et de baignades dans le plus simple appareil. Au début, c’est l’hilarité générale. Mais les failles pointent rapidement. Anna s’épanouit, Erik se sent mis de côté. Et lorsqu’il développe une banale, minable et si prévisible aventure extra-conjugale, les cartes se brouillent encore davantage…
La Communauté poursuit fidèlement l’art et la manière de Vinterberg. Premièrement, une terrifiante violence des sentiments, qui pointe sous couvert de liberté et d’ouverture d’esprit… pour mieux exploser. Autour d’une table, de préférence. Deuxièmement, une excellence dans les scènes de crise, avec des comédiens éclatants de naturels. Troisièmement, une volonté de proposer des personnages originaux, qui alignent les réactions surprenantes et les volte-face soudaines. Ce n’est pas toujours très crédible, certes, et les ficelles sont parfois grosses. On passera ainsi rapidement sur Erik et sa maîtresse, non exempts de clichés, pour se concentrer sur les enfants. Comme souvent chez Vinterberg, ceux-ci n’ont pas le comportement attendu de leur âge. Et c’est tant mieux! Ils sont ici au nombre de deux : Vilads, petit garçon à l’humour décalé condamné par une grave maladie, et Freja l’adolescente bien trop perspicace. Avec leur regard acéré, ils contemplent tous ces adultes, pour la plupart des intellectuels qui s’ennuient au point de s’inventer des règles de vie absurdes et ridicules. C’est troublant, c’est poignant, et c’est rempli de surprises.
Le film propose un drôle d’équilibre entre positif et négatif, entre rire hystérique et désespoir abyssal, parfois même d’une scène à l’autre. Un curieux chaos qui a ses bons moments et ses moins convaincants aussi, tout comme ces utopistes années 70, entre guerre du Vietnam et massacres Khmers rouges, sur fond de rock et de folk local ou de bons vieux hits d’Elton John. C’était le temps de l’amour, que les jeunes sauront peut-être faire mieux encore que leurs parents… Pour Vinterberg, c’est un mélange étroit de cruauté et de tendresse qui sent le vécu. Et, en finale, son film ouvre la porte sur un autre récit à peine entamé, celui d’une émancipation féminine. Encore une surprise.
La Communauté prendra l’affiche ce vendredi 30 juin à Montréal.