Le Dossier 51 :
chronique des années
de plomb
Le Dossier 51
de Michel Deville



La Ciné-club, que je commence à garnir davantage, s’intéresse aux œuvres plus anciennes — son nom le dit bien. J’aimerai également dans le futur y inclure des films récents, mais malheureusement non distribués chez nous. Mais tout d’abord, cette rubrique de Kino Pravda se dédie d’abord et avant tout aux curiosités : des œuvres injustement méconnues ou oubliées, mais non moins originales, audacieuses, surprenantes.
Place donc aujourd’hui à un film français à la démarche totalement inédite. Je dis bien totalement car il n’y a, du moins à ma connaissance, aucune autre entreprise comparable. Sorti sur les écrans en 1978, Le Dossier 51 est le dix-septième long-métrage de Michel Deville, un vétéran né en 1931. Surtout concentrée sur les années 60, 70 et 80, sa filmographie est abondante et variée, tout en proposant peu de réels classiques. Le Dossier 51 y apparaît un peu comme un ovni. Cette histoire de filature hautement mystérieuse est, au niveau du récit, l’un des films les plus formalistes qu’il m’ait été donné de voir. Et pour cause : son scénario est entièrement constitué d’une enfilade de rapports froids et techniques. On comprend que des services secrets non nommés enquêtent sur un diplomate haut placé qu’ils veulent utiliser, ou subvertir. Mais pour convaincre celui-ci de virer sa cuti, il faut trouver sa faille.
Le Dossier 51 est un film-enquête, le degré zéro du glamour de l’espionnage moderne. Aucun héros ne se dégage de cet amas de photographies, d’enregistrements sonores, de comptes-rendus, de notes éparses… l’effet est dur à imaginer, mais il fonctionne, et surtout en caméra subjective. Avec sa rigueur formelle et ses images en camaïeu de gris-beige, poncifs inhérents à l’époque pas si lointaine de la guerre froide, le film passionne. C’est un vrai puzzle, déstabilisant et jouissif parfois.
Le Dossier 51 fut tout d’abord un roman, publié par Gilles Perrault en 1969. Je dois avouer que cet écrivain prolifique, visiblement versé dans les histoires de détectives, m’était totalement inconnu. Tout comme le film, son roman se présentait à l’image de son titre, sous forme de dossier, les diverses notes rassemblées tirant parti de variations dans la mise en page et les typographies. Uniquement des documents techniques, sans commentaire, sans réaction, sans jugement sur le déroulement de l’affaire. J’ose croire que le film de Deville lui rend bien hommage. Perrault en fut d’ailleurs coscénariste, et reçut un César de la meilleure adaptation pour ses efforts.
Malheureusement, cette effrayante mécanique en ronds concentriques autour du « pauvre » diplomate se termine de manière plutôt simpliste. Lors d’une séquence finale très intense (c’est un euphémisme), un expert en psychiatrie nous dévoilera la fameuse faille. Une conclusion non seulement un peu téléphonée, mais aussi extrêmement datée au vu des mœurs actuelles. Qu’à cela ne tienne : avec son architecture inédite et sa narration fascinante, l’« expérience » Dossier 51 vaut largement la peine.