Monsieur et Madame Adelman :
le tourbillon de la vie
Monsieur et Madame Adelman
de Nicolas Bedos



Dramaturge, chroniqueur, metteur en scène, comédien, animateur et fils de (Guy, en l’occurrence) : en France, Nicolas Bedos est une figure médiatique d’importance. Et avec ses déclarations à l’emporte-pièce, sa réputation de fêtard invétéré et son allure de bobo parisien, il polarise bien des opinions. Nicolas Bedos, on adore ou on déteste, semble-t-il. L’adage s’est vérifié avec son premier long-métrage en tant que réalisateur, Monsieur et Madame Adelman, qui prendra l’affiche à Montréal vendredi. Ici au Québec, on ne connaît pas trop le personnage. Tant mieux. On pourra donc juger son film pour ce qu’il est : une entreprise très ambitieuse, incroyablement romanesque et rythmée, tissée de dialogues de feu. Mais aussi beaucoup trop longue, souvent caricaturale, boursouflée et un peu éreintante.
Entièrement structuré en flash-backs sous forme de chapitres titrés, Monsieur et Madame Adelman nous conte la romance entre Sarah, jeune juive issue d’un milieu modeste mais très cultivé, étudiante au doctorat en lettres modernes, et Victor, apprenti écrivain en rupture avec sa famille de bourgeois coincés. Ces deux-là se rencontrent au début des années 70; ils s’aimeront et se déchireront durant les quatre décennies suivantes, d’une passion brûlante, très inspirante. Pourtant, aussi ébouriffé qu’il puisse paraître, le film affiche une forme très classique. À l’enterrement de Victor, une Sarah désormais sexagénaire relate sa vie à un journaliste. Elle revient sur l’ascension de Victor, devenu un écrivain à succès, sur leur mariage, la naissance des enfants, la richesse, ses propres doutes, une séparation, des batailles, le renouveau, la vieillesse, la mort. Et lève le voile, en filigrane, sur plusieurs supercheries. Qui était vraiment Victor « Adelman »? Et dans son œuvre, quelle était la place de Sarah, la brillante, pétillante et fascinante Sarah?
Monsieur et Madame Adelman est un vrai de vrai mélo comme il ne s’en fait plus, (très) lacrymal vers la fin. Vous voilà prévenus. Si vous êtes allergiques, passez votre chemin. Mais pour les âmes romantiques, c’est du bonbon! Victor et Sarah sont beaux, intelligents, attachants, et font du bien au cœur. La presse d’outre-Atlantique a évidemment lourdement insisté sur le fait que Doria Tillier, interprète de Sarah et coscénariste, est également la compagne de Nicolas Bedos à la ville. L’information ne serait pas particulièrement pertinente si le film ne proposait pas un travail aussi exceptionnel sur le couple. De plus, Tillier à une énergie absolument remarquable. « C’est de la vodka, cette fille », dit Victor — il a bien raison.
Ce qui est formidable avec Monsieur et Madame Adelman, c’est qu’il est aussi très, très drôle. Surtout si l’on est sensible à l’humour franco-français tendance rétro (c’est mon cas). Toute la France des dernières décennies défile devant nos yeux, en images d’archives bien pensées et en second rôles savoureux. La voix off de Sarah, calme et littéraire, est constamment contredite par l’image, ce qui crée de solides effets comiques. Irrésistibles également sont plusieurs scènes, comme celle de l’introduction de Victor dans sa belle-famille ashkénaze. En équilibre entre le pur cliché et la destruction de celui-ci, le scénario est ultra-malin, et rempli de rebondissements. Il touche aussi à de vrais tabous, notamment le désamour face à un enfant qui n’est pas à la hauteur des espérances de ses parents. Voilà déjà de nombreux points positifs.
Mais mais mais… la devise de Victor est « tout sauf l’ennui ». C’est bien, mais une petite gêne, c’est bien aussi. Et Nicolas Bedos pêche par excès de tout, laissant le spectateur essoufflé. Enthousiasmant lorsqu’il s’attache à la jeunesse des personnages, son film bascule dans le too much pour décrire les affres de la crise de la cinquantaine (nous gratifiant au passage d’une pénible scène d’escort boy). L’humour pourtant si fin du début ne colle plus et l’ensemble s’étire, s’étire… jusqu’à nous donner l’étrange impression d’une entreprise d’autoglorification du réalisateur/acteur/démiurge. C’est certes dommage, mais Monsieur et Madame Adelman a tant de qualités, il serait bête de s’en priver.
Le film prendra l’affiche dès ce vendredi 9 juin.