Voir du pays :
paysage après
la bataille
Voir du pays
de Delphine et Muriel Coulin



La guerre, c’est l’enfer, mais le retour, c’est parfois tout aussi terrible. On le sait encore plus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le fameux « plus jamais ça ». Et pourtant, le cinéma s’intéresse bien souvent plus aux scènes de combat qu’aux lendemains qui déchantent… C’est pourquoi Voir du pays demeure une proposition très originale. Pour leur deuxième film après le très remarqué 17 filles, Delphine et Muriel Coulin ont choisi le sujet sous-exploité du retour au bercail des soldats — ici, des Français postés en Afghanistan. Encore plus surprenant, elles mettent en avant non pas les soldats, mais les soldates : Marine et Aurore, militaires de profession, et Fanny, infirmière.
Accompagnées de leurs confrères masculins, celles-ci s’apprêtent donc à regagner la mère patrie après une mission de quelques mois « pour défendre la démocratie ». Mais juste avant, le bataillon aura droit à trois jours de pause dans un hôtel ultrachic à Chypre, ou « comment passer de la burqa au string ». Entre les séances de sport et la farniente au bord de la piscine, tous s’essaieront à la thérapie de groupe par réalité virtuelle. Le but? Évacuer le stress, guetter les signes de trauma (problèmes de sommeil et d’appétit, douleur, claustrophobie, agressivité) et, peut-être, faire passer la pilule de cette embuscade qui a mal tourné et qui hante l’esprit de chacun. Ce sas de décompression nouveau genre est l’initiative d’une armée qui prétend prendre au sérieux l’autrefois méconnu et nié trouble de stress post-traumatique. Mais chez les soldats, la proposition est loin d’être populaire. Elle cristallisera bien des douleurs, notamment entre Aurore et Marine, deux amies d’enfance qui se sont suivies de Lorient à Kaboul pour mieux se trahir. Le mot d’ordre des supérieurs a beau être « ce qui s’est passé là-bas reste là-bas », tout n’est jamais aussi simple.
Baigné d’une lumière brûlante, Voir du pays est un film hautement anxiogène. Pour autant, il n’est pas démonstratif, et son message est loin d’être limpide. S’agit-il d’une dénonciation antimilitariste ou d’une histoire avant tout intime? Les demoiselles étouffent enfermées dans l’hôtel, et une virée rurale en compagnie de deux mystérieux Chypriotes entraînera d’autres drames. Les réalisatrices manient une tension constante, souvent fine et sous-jacente. Elles filment un univers hors réalité, aussi étrange que les affrontements en 3D visionnés par les soldats qui, peu à peu, « partent en vrille ». L’issue dramatique apparaît bientôt inévitable. La faute à qui? La faute à l’armée, qui célèbre toujours la culture du machisme, de l’humiliation, de l’intimidation et de l’humour beauf. La culture du silence aussi, celle qui protège ses troupes dans un simulacre de justice.
Dans ce film éprouvant, les messieurs affichent presque tous des gueules patibulaires, et les filles sont loin d’être sympathiques. Dans le rôle de Marine, Soko, la rockeuse et La Danseuse, est une évidence. Sa voix est encore plus rauque que d’habitude et son visage encore plus buté. Dans celui d’Aurore, Ariane Labed est tendue comme un arc. Le plan final lui inventera un destin façon cheveu sur la soupe, mais qui a le mérite d’introduire un soupçon d’espoir. Reste Chypre, pays coupé en deux entre la Grèce et la Turquie et frontière de plus en plus prisée pour intégrer l’Europe, un lieu très évocateur : à la fois ensoleillé et dangereux hors sentiers battus, un décor idéal pour cette parenthèse pas enchantée du tout.
Voir du pays prendra l’affiche dans les salles montréalaises dès ce vendredi 14 avril.