La Fille de Brest :
Irène contre Goliath
La Fille de Brest
d’Emmanuelle Bercot



L’affaire du Mediator, cela vous dit quelque chose? De ce côté-ci de l’Atlantique, peut-être pas, mais le scandale fut énorme en France au tournant de 2010. Dans cette affaire juridico-médicale, les laboratoires pharmaceutiques Servier se sont opposés à un groupe de médecins, aux malades, puis aux familles de patients décédés. En cause, le Mediator : un médicament coupe-faim prescrit aux diabétiques en surcharge pondérale, ou tout simplement à ceux désirant perdre du poids. Un médicament « inutile » entraînant dans l’indifférence des valvulopathies, un important dysfonctionnement des valves cardiaques.
La Fille de Brest raconte le combat-guérilla d’Irène Frachon, pneumologue au CHU de la ville bretonne, qui tente par tous les moyens de démontrer la toxicité du Mediator. Mais comme on lui répète d’un air excédé, « si un médoc est prescrit, que les patients en prennent et que la sécurité sociale le rembourse, c’est que tout va bien ». De toute façon, en cette année 2009, la santé publique française a d’autres chats à fouetter — en l’occurrence la menace hystérique de la grippe H1N1. Personne n’écoute Irène, et pourtant, les preuves sont là, extrêmement probantes, presque trop. Et pendant ce temps, les patients meurent. Après le retrait officiel du médicament, d’autres combats restent à gagner, l’indemnisation des patients, l’information à grande échelle… Irène se catapulte alors auteure de best-seller : Mediator, combien de morts? Beaucoup de morts. Ce n’est que le 22 octobre 2015 qu’un tribunal de grande instance reconnaîtra la responsabilité civile des laboratoires Servier. Mais les coupables courent toujours.
Certains connaissent Emmanuelle Bercot comme scénariste (Polisse) ou actrice (prix d’interprétation à Cannes en 2015 pour Mon roi, encore l’effet Maïwenn). Elle se veut avant tout réalisatrice et donne dans le doux-amer (Elle s’en va) ou dans le social (La Tête haute), souvent les deux. C’est le cas ici. Dans le monde d’aujourd’hui, qui tire les fils, qui est la grande menace? Donald Trump, les Russes, les banques, le nouvel ordre mondial? Où… les compagnies pharmaceutiques, bien sûr. L’intrigue de La Fille de Brest est tout à fait passionnante. On s’enthousiasme pour ces valeureux médecins qui font la guerre aux méchants labos, « ceux qui nous font bouffer ». Ce film-enquête a pourtant les défauts de ses qualités. Formellement, les poncifs abondent : gros plans sur des piles de notes, rythme effréné, coups de fil de sources anonymes… On frise même la ringardise lorsque des colonnes de chiffres se superposent au visage soucieux d’Irène, accompagnées de synthétiseurs tonitruants. Les sbires des pharmaceutiques manquent évidemment de nuance, leurs jugements lapidaires sont peu expliqués et justifiés. Malgré le label « d’après une histoire vraie », il en résulte une impression de réalisme raté. Le cinéma aurait-il expédié le tout? Il est vrai que ce genre d’entreprise brille rarement par sa subtilité.
Emmanuelle Bercot met dans la bouche de son actrice principale un texte particulièrement exigeant, qui ne sonne pas toujours juste. Mais ce n’est ni l’accent, ni le talent de Sidse Babett Knudsen qui sont en cause. L’actrice danoise, nouvelle coqueluche du cinéma français après son César pour L’Hermine de Christian Vincent, incarne avec abatage une héroïne au franc-parler décoiffant : « La patience, c’est pas mon truc! ». À ses côtés, Benoit Magimel est fatigué, bedonnant, et très touchant. Au final, le parcours du combattant d’Irène Frachon semble peut-être manichéen sur grand écran, mais dans la vie, on ne peut être contre la vertu!