Paterson : Cupcakes,
amour et poésie
Paterson
de Jim Jarmusch



Il fut un temps où le cinéma indépendant était en plein âge d’or. À cette époque bénie, Jim Jarmusch était le roi. Depuis 1980, l’éternel dandy à la chevelure blanche nous abreuve de films minimalistes où le temps s’écoule lentement… Mais comme Jarmusch est également une sorte de rock star, il est revenu en force l’année dernière avec deux films : d’abord un documentaire sur les Stooges, Gimme Danger, et ensuite une fiction tout à fait typique de son style, ce Paterson présenté en compétition officielle à Cannes en mai dernier.
Paterson, c’est à la fois une ville et un personnage, une bourgade du New Jersey et un chauffeur de bus. C’est aussi un poème épique de l’auteur William Carlos Williams, publié en cinq volumes entre 1946 et 1958. Une œuvre en flux de conscience grandement admirée par Paterson le chauffeur de bus qui, lui aussi, écrit des poèmes en prose. Tous les jours, il se lève dans le petit pavillon qu’il partage avec Laura, sa femme. Il marche jusqu’à son bus qu’il ne quittera plus de la journée. Juste avant de donner le premier coup de volant, il écrit quelques vers dans son fidèle cahier de notes. Pendant ce temps, Laura l’attend à la maison. La nuit, elle rêve; le jour, elle peint des rideaux ou ses robes à grands coups de pinceaux noirs et blancs et cuisine des recettes créatives. Amoureuse, elle encourage Paterson dans ses aspirations d’artiste, ce qu’il repousse tout le temps au lendemain.
Le film se passe sur une semaine, une semaine parmi tant d’autres dans la vie de Paterson, la ville et le personnage. Une semaine à la fois bien ordinaire dans le premier cas, et déterminante pour le second. Les jours s’égrènent à l’écran et coulent dans une langueur presque onirique, naturellement assortie de ralentis. Les vers de Paterson s’écrivent à l’écran sous nos yeux, ce qui provoque une sorte de « respiration ». Le récit est de toute manière structuré sous forme de vignettes ou de bulles, à la fois répétitives et truffées de surprises. Paterson écoute les conversations de tous les passagers de son autobus, des jeunes hommes désillusionnés par l’amour aux adolescents anarchistes. C’est un personnage lunaire, un peu mésadapté mais pas trop, le genre à parler lentement et très peu, et à refuser de posséder un téléphone intelligent parce que « le monde fonctionnait correctement avant ». Adam Driver lui prête sa gueule tortueuse, ses éclats de rire brusques et sa dégaine compassée. À ses côtés, Golshifteh Farahani est Laura. La splendide actrice poursuit une carrière pointue entre l’Europe et les États-Unis, son Iran natal n’ayant pas voulu d’elle…
La langueur de Paterson provoque une certaine étrangeté, pas tout à fait inquiétante, mais forcément insolite. Les situations sont si ordinaires qu’elles en deviennent absurdes, les seconds rôles ont des têtes patibulaires ou cocasses. Marvin, le chien si (peu) expressif, est un élément comique non négligeable, tout comme le collègue de Paterson dépassé par la vie et les événements. N’affichant presque aucun développement dramatique, le film sera certes un cauchemar pour les fans d’action et pour ceux qui cherchent réponse à tout. Et pourtant, son charme si épuré est prégnant. La plus jolie scène demeure peut-être celle où Paterson rencontre par hasard une jeune préado, elle aussi poète : une connexion tout en douceur et en créativité, à l’image de ce film d’amour super-ultra-délicat et hors du temps.
Paterson de Jim Jarmusch prendra l’affiche dès ce vendredi.