Nelly : l’étoile filante
Nelly
d’Anne Émond



Après Jackie, voici un autre biopic au féminin, non-traditionnel par-dessus le marché : Nelly d’Anne Émond sera à l’affiche vendredi prochain, soit le 20 janvier. Un film très attendu car de genre assez inédit au Québec. Non seulement les biographies filmées sont-elles rares, mais les biographies d’écrivains, encore plus ! Et j’aime beaucoup Anne Émond, une cinéaste qui fait toujours preuve d’audace. Son premier film, Nuit #1 (2011) était un pari formaliste, une œuvre de dialogues et de corps en unité de lieu, de temps et d’action. Son deuxième, Les Êtres chers (2015) faisait au contraire le pari de la saga familiale étalée sur plusieurs générations avec beaucoup de pudeur et d’émotion. La voir maintenant se frotter à une figure aussi trouble que celle de Nelly Arcan semble une évidence.
L’écrivaine, née Isabelle Fortier en 1973 et morte suicidée à 36 ans à peine, fut une comète dans le paysage littéraire québécois. Quatre romans, de la sensation Putain (2001) à Paradis, clef en main (2009). Une figure rare, à la fois scandaleuse et intellectuelle, intime et glamour, à la plume exigeante mais abonnée aux best-sellers. Une énigme. Une jeune femme sexy et philosophe qui écrivait sur sa propre vie (mais pas que), une forte en gueule aux multiples fêlures, une incarnation complexe de la création et du féminisme contemporain. Ouf !
Nelly Arcand s’était construit un véritable personnage public. Son corps même était en chantier. Cette armure, cette « burqa de chair », tentait (mal) de dissimuler un terrible manque de confiance en soi et des abîmes de tristesse. Personnellement, je me souviens avoir été plutôt bouleversée par la lecture de Folle (2004), que j’ai lu très jeune – sûrement trop. Et la proposition cinématographique d’Anne Émond est heureusement très fine. Son scénario original nous offre quatre Nelly : l’écrivaine, la prostituée, l’amoureuse et la star; un peu à la manière du fabuleux I’m Not There de Todd Haynes (2007), qui dépliait le mythe de Bob Dylan en six visions. Cette fois-ci par contre, une seule actrice, la diaphane Mylène McKay, pour incarner toutes ces facettes de la femme. Tirant parti du brouillage et de la porosité des frontières entre fiction et réalité, à la base même de l’œuvre de Nelly Arcan, le film nous propose de suivre ces quatre figures troublées dans des instants fragiles, volatiles… et malheureusement très inégaux.
Le portrait cinématographique que nous propose Nelly est elliptique, ultra-fragmenté, et provoque paradoxalement un seul effet : l’accablement, voire même l’apathie. Peu de mordant dans toutes ces Nelly, uniformément au désespoir. Et pourtant, la vraie Arcan n’avait pas la langue dans sa poche. Sans surprise, la figure écrivaine fascine absolument. L’amoureuse brise le cœur, même si on a déjà vu des portraits plus créatifs de la dépendance sentimentale ou de la toxicomanie. La prostituée occupe beaucoup, beaucoup de temps à l’écran. Quant à la star, sa pertinence apparaît plus discutable, et ses scènes (notamment l’inévitable press junket) sont filmées presque paresseusement. Résultat : ceux qui cherchent le réalisme à tout prix ou des « réponses » seront automatiquement frustrés, et ceux qui n’en ont cure resteront tout de même sur leur faim. L’intention de toucher à plusieurs facettes de l’existence et de la personnalité de Nelly Arcan était non seulement louable, mais presque essentielle : chapeau donc à Anne Émond pour sa prise de risque. Nelly demeure, malgré ses failles, un beau pari, même si certaines œuvres ont une démarche bien plus intéressante que le produit fini.
Nelly sera à l’affiche dès vendredi prochain 20 janvier.