Jackie :
le crépuscule
des dieux
Jackie
de Pablo Larraín



Pour le premier article de 2017 sur Kino Pravda, place à un film sublime, et je pèse mes mots. Comme presque toute la planète cinéphile, j’ai découvert le réalisateur chilien Pablo Larraín en 2012 avec No, ce qui était déjà son quatrième long-métrage. J’avais adoré cette épopée d’un jeune publicitaire participant presque malgré lui à la campagne du « non » lors du référendum de 1988 ; référendum qui, contre toute attente, avait destitué le vieux général Pinochet après quinze ans de dictature. Politique, entrain, rythme, humour, Gael García Bernal et les gentils qui gagnent à la fin : comment ne pas aimer No? La douche fut d’autant plus froide avec le film suivant, le terrifiant El Club, certes beaucoup moins aimable mais d’une force immense — d’ailleurs numéro 3 de mon palmarès cinéma de 2016. Et Pablo Larraín ne s’arrête pas là, car l’année qui vient de se terminer l’a vu également signer Neruda, qui sera à l’affiche chez nous le 20 janvier.
Ce qui nous amène à Jackie. Le premier film américain de Larraín, le premier tourné en anglais. Et une évocation au grand écran de Jackie Kennedy! Quelle ne fut pas ma surprise lorsque j’appris l’existence de ce projet. Tant d’autres réalisateurs étrangers se sont cassé les dents à ce genre d’exercice. Pourtant — et c’est un peu cocasse de le dire — j’avais confiance en Pablo Larraín. Confiance qui fut récompensée au-delà de mes attentes. Je le répète : Jackie est un film sublime. Une merveille de vision, tout d’abord, qui cueille la Première dame des États-Unis alors que celle-ci vient de perdre son précieux statut. Nous sommes en novembre 1963 et son mari s’est fait éclater la tête : « J’ai essayé de recoller les morceaux, il y en avait partout, je n’ai pas pu ». En quelques jours, Jackie doit organiser des funérailles nationales sous haute sécurité, annoncer la mort de leur père à ses enfants, rendre les clefs de la Maison-Blanche, lieu d’histoire, de mémoire et de fêtes. Pour le pays et pour la femme, c’est la fin d’une époque de charme, d’optimisme et de faste. Mais de toute façon, qu’est-ce que la réalité historique? Don’t let it be forgot, that once there was a spot, for one brief, shining moment that was known as Camelot…
De son propre aveu, Pablo Larraín n’aime pas les biopics. Il vient pourtant de s’en enfiler deux à la queue-leu-leu, mais ceux-ci n’ont rien de classique. Il ne fallait rien de moins que son audace pour s’attaquer aux Kennedy, monuments inébranlables de l’histoire américaine. À la figure jet-set de Jackie, il oppose une mise en scène froide, extrêmement structurée dans le temps et l’espace. La « débutante », méprisée par l’administration, malmenée par le pouvoir, est seule. Dans le cadre, comme dans ces quelques jours de novembre 1963. Et c’est le cinéma qui nous le fera ressentir : par la musique douloureuse de Mica Levi, ou par une prodigieuse séquence où s’accumulent les robes, les décors opulents et les cigarettes, dans une ronde sans fin. En contrepoint des costumes sixties, l’image ose un grain grossier, comme sali. Et, last but not least, c’est une Natalie Portman presque méconnaissable qui prête son visage sculptural à l’idole déchue. Le travail que l’actrice a effectué sur sa voix est absolument phénoménal. Doucement aiguë, étrangement enfantine et traînante, cette voix hypnotise et fascine, tout comme ce film au charme crépusculaire.
Jackie a pris l’affiche tout juste avant Noël en distribution limitée et en version originale. Le film sera cependant accueilli en version sous-titrée en français au cinéma du Parc dès vendredi.