Moonlight : une vie
Moonlight
de Barry Jenkins



Je l’avoue, je suis un peu en retard sur ce coup-là. Mais face à un tel trésor, mieux vaut tard que jamais! De temps à autre, un petit miracle tel que celui-ci se produit. Un film que personne n’attendait, sans vedette, sans battage, sans hype ni rien, mais un film qui rafle tout sur son passage. Les étoiles, les lauriers et les cœurs… Moonlight est le film-cendrillon de cette fin d’année. Tout comme Manchester By The Sea de Kenneth Lonergan, vous risquez sans nul doute d’en entendre parler lors de la prochaine saison des remises de prix. Et il s’agit d’une éclatante preuve de plus de la vitalité du cinéma indépendant américain.
Moonlight est le second long-métrage de Barry Jenkins, réalisateur de 37 ans dont le précédent opus Medicine for Melancholy reçut des échos positifs, mais très confidentiels. Il adapte cette fois-ci une pièce de théâtre, In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney. En trois chapitres, le film nous conte l’histoire de Little/Chiron/Black ; l’enfant, l’adolescent et l’homme. Trois époques de l’existence du même personnage : un petit garçon noir né dans les faubourgs de Miami, poussant en liberté dans un milieu ensoleillé mais violent, entre la mer et la misère sociale. « Little » est maltraité par ses camarades depuis toujours, ceux-ci flairant peut-être chez lui le spectre de la différence. L’enfant est doux, mutique et réservé dans un univers qui valorise la brutalité virile. Sa mère célibataire est dépendante au crack, un état d’urgence qui ne cessera d’empirer. Forcé de se défendre face aux agressions de son entourage, Chiron fera un petit tour au centre de redressement et, à sa sortie, deviendra dealer sous le nom de Black. Black : des muscles, une grosse voiture, et des fausses dents en or. Une cuirasse idéale pour masquer celui qui n’a jamais oublié Kevin, son amour de jeunesse.
En français, le titre du film est Moonlight : l’histoire d’une vie, « traduction » qui apparaît un brin trop pompeuse pour une œuvre aussi fine et réaliste. Mais il faut bien dire que c’est exactement ce que nous expérimenterons. Moonlight est la vie de Chiron, une vie dramatique et ordinaire, à la fois le résultat logique de son milieu d’origine (la drogue, la violence) et une trajectoire stupéfiante qui fait fi de tous les poncifs sur la pauvreté, le manque d’éducation ou l’orientation sexuelle. Il n’y a certes pas beaucoup de joie dans cet univers, mais oubliez tout de suite le portrait cliché ou misérabiliste : aucune complaisance n’est à déplorer dans la démarche artistique de Barry Jenkins. Aucun didactisme non plus : à l’image de son personnage principal qui a de la difficulté à aligner trois mots à la suite, le scénario fait la part belle aux silences, éloquents, douloureux ou d’une douceur déchirante.
Sur le chemin de Chiron se trouveront trois lumières d’exception : Kevin, bien sûr, mais aussi Juan et Teresa, un couple de mentors surprenants qui ordonnent à leur protégé de « lever la tête, car chez nous, c’est l’amour et le respect ». Des rôles superbes pour toute une bande de comédiens à tomber. Et en terminant, il est également capital de saluer la maestria de la mise en scène de Jenkins, sa caméra ultrasensible, captant au plus près les émotions de ses personnages, usant avec brio des effets oniriques et hissant ce film précieux bien au-delà du portrait social : en véritable œuvre d’art.
Moonlight est toujours à l’affiche au Cinéma du Parc en version originale sous-titrée en français, et également au Forum. C’est, littéralement, à ne pas manquer.