RIDM : Manuel de libération,
« l’espoir meurt en dernier »
Manuel de libération



Troisième et dernier arrêt aux RIDM, et véritable coup de cœur. Après le Mexique, l’Autriche et le Kurdistan, nous voici en Sibérie avec l’extraordinaire parcours de Yulia et Katia, deux pensionnaires de l’internat neuro-psychiatrique de Krasnoïarsk. La première a été abandonnée dès la naissance et souffre d’une très légère déficience intellectuelle. La seconde a vécu une enfance épouvantable, marquée par les sévices, la négligence et les fugues. Les deux ont été placées à l’orphelinat et déchues de leurs droits civiques. Pour ces non-citoyennes, impossible de vivre de manière indépendante, d’obtenir un emploi, de louer un appartement, de se marier ou de fonder une famille : l’État russe l’interdit. Elles devront passer toute leur existence à l’internat, dans la domestication et l’ennui, en compagnie de réels aliénés. À moins qu’elles ne réussissent à renverser leurs antiques diagnostics et à rétablir leur fameuse capacité civile. À moins qu’on ne leur accorde enfin le droit de vivre.
Aberrations administratives, négation des droits humains, lois moyenâgeuses et intolérance crasse : à travers les parcours semés d’embûches de Yulia et Katia, Manuel de libération fait le portrait d’une nation où la justice est pétrie d’absurde… mais est-ce réellement une surprise ? Les glaçantes séquences à la cour devant une juge inflexible rappellent irrésistiblement le Léviathan Andreï Zviaguintsev. Un vrai film d’horreur. Face à Yulia, résolue, et Katia, révoltée, les psychiatres, médecins et autres experts se succèdent. Certains sont bienveillants, mais la décision finale n’est jamais de leur ressort. Au final, l’une réussira, l’autre pas. L’absurde, encore et toujours. Alexander Kuznetsov nous propose un film rare. Un documentaire absolument formidable, touchant et poignant, qui accompagne ses sujets sans jamais intervenir, dans la joie comme dans la peine. Un regard empathique et sobre qui incarne le meilleur du cinéma du réel. Comme le dira si bien l’une des collègues de Yulia à l’internat, « Oublie la maison des fous, mais pas nous ».
Manuel de libération faisait partie de la compétition internationale des longs-métrages des RIDM.
Petit ajout de dernière minute : les RIDM ont annoncé leur palmarès hier soir et les films recensés par Kino Pravda s’y retrouvent en très bonne place ! Gulîstan, terre de roses de Zaynê Akyol s’est ainsi vu remettre le Prix du Meilleur espoir Québec/Canada; le grand prix de la compétition internationale longs métrages a fait une mention à Tempestad de Tatiana Huezo et Brothers of the Night de Patric Chiha a reçu le prix image de la compétition internationale longs métrages. Peut-être avons-nous maintenant une chance de plus de revoir ces films sur grand écran.