RIDM : Brothers of the Night
et Gulîstan, terre de roses
Brothers of the Night



Deuxième arrêt aux Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal hier soir avec un doublé d’œuvres décrivant des réalités rudes et complexes.
Brothers of the Night (Brüder der Nacht) est le troisième long-métrage (et premier documentaire) de l’Autrichien Patric Chiha. Formé à Paris et Bruxelles et donc parfaitement francophone, le réalisateur était présent pour nous présenter ce portrait stylisé des rapports de pouvoir et surtout d’argent entre Est et Ouest en Europe. Ostracisés et réduits au chômage, de jeunes Roms bulgares se rendent à Vienne dans l’espoir de gagner leur vie. Pas de boulot, pas d’avenir, pas éducation non plus pour ces « frères de la nuit » qui se voient rapidement réduits à la prostitution. Au Rüdiger Café, leur corps est un moyen de faire de l’argent facile, qu’ils devraient envoyer à leur famille, mais qu’ils boivent et fument rapidement. Ils retournent donc régulièrement en Bulgarie quelque temps… toujours pour mieux revenir au Rüdiger Café.
En introduction, le réalisateur Patric Chiha a déclaré avoir voulu faire un film « avec » les jeunes prostitués, et non pas « sur » eux. Un effet de totale proximité très réussi, sans le moindre jugement. À l’écran, le documentariste est totalement absent. Pas non plus de voix off ni de commentaire. Formellement, le film pourrait tout à fait être une fiction si ce n’était ces quelques séquences où les garçons racontent certaines de leurs expériences face à la caméra. Leur vie est misérable, leur situation semble sans issue, et leur langage est cru, très cru. Des rires ont régulièrement fusé dans la salle, souvent même à des moments très mal choisis, symptômes sans doute gênes ou de malaises, et masquant surtout une immense tristesse. Ces jeunes hommes, tous déjà mariés au pays en étant à peine majeurs, ont une vision extrêmement traditionnelle de la vie et de l’amour et sont machos comme c’est pas permis. Un seul d’entre eux, le seul d’ailleurs qui se travestit et semble être réellement homosexuel, fait preuve d’une certaine sagesse. « Je ne ferai pas ça toute ma vie », annonce-t-il, « un jour j’aurai un boulot normal, une vie normale, et même des enfants ». Malheureusement un peu long et répétitif, le film tire parti de son esthétique rétro, du graphisme eighties du générique aux lumières style red light qui évoquent irrésistiblement Fassbinder et son Querelle – petit look marin par-dessus le marché.
Gulîstan, terre de roses



Direction ensuite vers un Cinéma du Parc absolument bondé pour la première montréalaise de Gulîstan, terre de roses, une production de l’ONF qui a déjà fait le tour du monde avec succès. Un premier documentaire également pour la toute jeune — et très émue — Zaynê Akyol. En 2014, la réalisatrice débutante est allée suivre les combattantes du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), en lutte depuis les années 1980 contre la Turquie. Leurs revendications? L’indépendance, ou du moins l’autonomie du peuple kurde sur ses territoires ancestraux. Leurs moyens? La guérilla, mais aussi l’éducation et la philosophie. Dans sa grande mansuétude habituelle, le gouvernement turc considère le parti comme une organisation terroriste. Il n’empêche qu’il est aujourd’hui une force non négligeable pour lutter contre l’État Islamique. Dans le « triangle » central du Kurdistan, les combattants et combattantes du PKK surveillent, traquent, défient la menace Daech. Sommet par sommet, village par village, la mission est sans fin.
Parmi eux, Zaynê Akyol s’intéresse tout d’abord aux femmes. Des femmes souvent très jeunes, comme cette Rojen a la force impressionnante, qui a choisi dès ses vingt ans de s’engager corps et âme dans la lutte armée et qui se met à pleurer en évoquant sa mère et sa petite sœur : « Je vais passer toute ma vie dans les montagnes, c’est échanger une existence pour une autre ». Des femmes d’une détermination sans faille comme cette Sozdar, qui discute armes et engagement politique d’une voix extraordinairement douce. Des femmes aux sublimes chevelures d’ébène qui seront observées par une caméra simple, pudique, et une réalisatrice très discrète. La première partie du film, consacrée à l’apprentissage et à l’entraînement, est étonnamment paisible. Le sport, les discussions et les repas rythment le quotidien des soldates qui seront par la suite accompagnées jusqu’au front dans une deuxième partie où la tension monte irrésistiblement. Alors qu’elles vivent dans une proximité inouïe avec l’ennemi, ces femmes font preuve d’une sidérante intelligence, et d’un féminisme farouche propre à donner des leçons à n’importe qui.
Brothers of the Night était présenté dans le cadre de la compétition internationale des longs-métrages des RIDM.
Gulîstan, terre de roses fait quant à lui partie de la compétition nationale. Le film est d’ailleurs projeté de nouveau aujourd’hui 17 novembre à 17h30 à la salle Fernand-Séguin de la Cinémathèque québécoise. Courez‑y!