FNC jour 10 :
intolérances
Safari
d’Ulrich Seidl



Mon deuxième et dernier week-end du FNC 2016 débute avec un autre gros morceau, le tout nouveau Ulrich Seidl. J’avoue que je n’étais pas vraiment familière avec l’œuvre du documentariste autrichien avant de voir In The Basement au FNC il y a deux ans, un film-choc qui me hante encore. Cette édition fait maintenant place à son petit dernier, Safari. Le réalisateur était d’ailleurs attendu pour une classe de maître lors du festival qui n’a malheureusement pas eu lieu en personne. Mais voyons maintenant l’essentiel, c’est-à-dire le film. Après l’exploitation économique est/ouest, le tourisme sexuel et les secrets cachés des sous-sols, Seidl s’attaque à un autre sujet controversé et tout à fait dans l’air du temps suite au scandale du braconnage illégal du lion Cecil au Zimbabwe l’année dernière : la chasse, plus particulièrement celle d’animaux sauvages lors de safaris en Afrique. La forme de Safari est identique à celle d’In The Basement : uniquement des plans-séquences, très souvent fixes, et un brouillage constant des frontières entre réalité et fiction. Soyons clairs : Safari est un documentaire, cependant il n’use d’aucun des codes classiques de mise en fiction du genre. Chez Ulrich Seidl, le documentariste est totalement absent à l’image. Aucun commentaire ne juge explicitement ces riches européens qui vont chasser l’animal rare entre deux séances de bronzette, le tout sans jamais prononcer le mot tuer (« Ce n’est pas beau »). La caméra s’en charge amplement.
Seidl est un génie du minimalisme — ou de la manipulation, diront ses détracteurs. Si certains parallèles effectués par Safari sont grossiers, ils n’en demeurent pas moins vrais. Sur la défensive, les protagonistes chasseurs du film justifient leur grand fantasme postcolonial par des arguments fantaisistes : le développement économique, la beauté des trophées empaillés dans leur salon, et même le délire écologique. Mais ce qui transpire de ce « sport » qui demande de rester assis pendant des heures dans une petite cabane à l’abri du soleil en buvant des bières, c’est encore et surtout un racisme prégnant. Le film ose même, dans une séquence stupéfiante, nous montrer une girafe qui meurt en direct. Puissant.
The Calm
de Krzystof Kieślowski



Ma soirée fut ensuite consacrée au cinéma polonais, d’hier et d’aujourd’hui : un régal! La première étape était signée de la main du maître Kieślowski, à qui la section Histoire(s) du cinéma du FNC rendait hommage cette année à travers les projections de ses premiers films de fiction : Camera Buff, Blind Chance et The Calm, celui qui manquait à ma collection d’admiratrice transie. Les grandes coproductions européennes de Kieślowski (La Double vie de Véronique ou la trilogie Trois couleurs) sont magiques, il va sans dire ; cependant, j’aurai toujours une tendresse particulière pour ses œuvres 100 % polonaises. Mettant en vedette Jerzy Stuhr, l’acteur principal de Blind Chance, le film raconte l’histoire d’Antek, qui sort de prison après avoir purgé une peine de trois ans « pour avoir été innocent ». Contrairement à certains de ses camarades qui ne pensent qu’à faire la fête, il ne rêve maintenant que de rentrer dans le rang : trouver du travail, avoir une maison, fonder une famille. Une nouvelle vie, une vie bien ordinaire, dans un monde pétri par les envieux, les cachottiers et les délateurs… Antek aurait peut-être une chance, si seulement le poids du destin et de la fatalité n’étaient pas si lourds chez Kieślowski! Formellement plus brouillon que ses successeurs (et l’on sent que la copie a souffert du passage du temps), The Calm fut sans surprise censuré par les autorités polonaises. C’est toujours un choc de le redécouvrir aujourd’hui, qui plus est précédé par le remarquable court métrage documentaire Les Têtes parlantes, où le réalisateur reçoit les brèves confidences d’hommes et de femmes nés tout le long du XXe siècle : un Humans of Poland d’une force brute stupéfiante.
The Sun, the Sun Blinded Me
de Anka et Wilhem Asnal



La soirée polonaise se poursuivit par un film réalisé à quatre mains par le couple Anka et Wilhem Asnal : The Sun, the Sun Blinded Me, adaptation libre et modernisée de L’Étranger d’Albert Camus. Adaptation très fidèle également, ce qui nous prouve, si par hasard l’on en doutait, la pérennité de l’œuvre. Sa pérennité et aussi son potentiel sulfureux intact : le personnage principal indifférent devant la mort de sa mère choque toujours autant. Puis, lors d’un jogging sur la plage, ce sera la rencontre de l’autre, l’étranger, qui dans le contexte de l’Europe de 2016 est un réfugié échoué venu d’Afrique. Une proposition culottée, qui fait décoller le film du simple réalisme lorsque l’étranger s’attache mystérieusement au pas du personnage principal, jusqu’au drame annoncé. The Sun, the Sun Blinded Me est d’abord une œuvre d’ambiances, quasi mutique. Une unique scène de dialogues vitrioliques la transformera en charge contre le racisme ordinaire. La caméra s’attache aux épaules de son acteur, ou à son regard magnétique, dans des gros plans qui font passer ceux de Juste la fin du monde pour de larges cadrages. Les ralentis et les flous figurent la tension, le trouble, l’aliénation et le délire. C’est à la fois formaliste et profond, expressif et dérangeant.
La seconde projection de The Sun, the Sun Blinded Me a lieu ce soir 20h à la Cinémathèque.